Nos belles endormies

Les photos du début du 20e siècle nous montrent de nombreuses femmes de Massérac portant une petite coiffe blanche assez collée à la chevelure et couvrant le fond de la tête. Notre coiffe n’est pas celle qu’ont retenue les clichés folkloriques pour caractériser la Bretagne sur les cartes postales, boîtes de gâteaux et autres enseignes de crêperies …

Mais la « Dormeuse », ainsi qu’on la nomme, est pourtant une bretonne originale qui réveille notre intérêt…

La dormeuse : fond paillé et passe, pignon brodé et rosace, arrière et ruban (collection Jeanne David – photos DL)

Peu visible sur les clichés pris de face, notre coiffe n’a pas l’envergure des dernières modes bigoudènes ou des gracieuses ailes de l’Aven, ni des étonnantes pointes du “touken “Trégorois, ni l’envol aérien de la coiffe de Lorient surnommée l’aéroplane ! La « Dormeuse » se distingue cependant par la finesse de son paillage en chevrons, fruit d’une technique de repassage et d’amidonnage très complexe. De plus, elle couvre dans ses diverses variantes et déclinaisons le territoire le plus étendu de la Bretagne…

On la trouve dans tout l’ancien évêché de Nantes (partiellement représenté aujourd’hui par la Loire Atlantique) de Clisson et Pornic à Guérande et Châteaubriant, mais aussi dans certaines communes de l’ancien évêché de Vannes et celui de Rennes. On la porte également aux confins de la Bretagne historique dans certaines localités de Vendée et du Maine et Loire.  Ceci s’expliquant par le rayonnement croissant de la métropole nantaise en concurrence avec Rennes et Vannes. Le port de la dormeuse à parfois gagné du terrain sur les territoires d’autres modes en se substituant à leurs coiffes spécifiques plus anciennes.

Fond paillé et passe brodée

La coiffe est en tulle de coton rebrodé sur le devant, plus ou moins richement, et sur l’arrière dans un pignon en rosace aux motifs généralement floraux ou végétaux. Certaines pièces moins riches ne sont pas brodées (quotidien, deuil).

De nombreuses variétés de dormeuses (collection Dominique Duz)

Notre dormeuse se compose d’un fond (paillé sur le haut) et d’une bande frontale appelée “passe”, souvent brodée ou agrémentée de dentelle. Elle conserve ces caractéristiques autant en Brière qu’à Châteaubriant, Redon ou Pontchâteau. Au sud de la Loire, en Pays de Retz, à Nantes, dans le vignoble et dans la Vendée, une bande de dentelle, le « dalais « , prolonge la passe. Le dalais borde tout le fond de la coiffe, souvent plus volumineux.

On retrouve dans tout le nord de la Loire Atlantique, voire au-delà, des petites dormeuses paillées et sans dalais, proches de celle de Massérac. Elles sont particulièrement ressemblantes entre la Brière, Redon, Guémené-Penfao et Nozay, mais différent parfois légèrement d’un village (ou groupe de villages) à l’autre. Ces détails distinctifs peuvent être les proportions entre le fond et la passe, leur taille, leur forme. C’est avant tout la façon dont les dormeuses sont amidonnées, la surface et la forme du paillage ou du pignon qui font la différence. Le ruban décoratif, sa taille et le volume du nœud arrière sont également distinctifs. Les coiffes de deuil, dépourvues de broderies, sont ornées d’un ruban de crêpe noir.

Un travail de lingère

Rappelons que la dormeuse, objet de luxe, n’est pas fabriquée ni brodée à la maison, elle est vendue par des colporteurs ou en boutique. Dans chaque bourg des lingères expérimentées se chargent de laver, découdre passe et fond, et amidonner le tulle, voire le réparer : l’opération peut prendre plusieurs heures !

Coiffes non amidonnées (collection D. Duz)

Le paillage consiste à intercaler le tulle et de fines tiges d’acier (les «pailles») placées en deux séries de chevrons, de part et d’autre d’une ligne médiane . 

On obtient un fin tuyautage selon un plan spécifique à chaque contrée.

Ensuite la lingère assemblera passe et fond amidonnés en les cousant. 

Elle posera le ruban de soie ou de mousseline qui orne la coiffe au-dessus du crâne et sur les bords inférieurs. Il se termine par un nœud à l’arrière, plus ou moins volumineux, au-dessus du chignon. La coiffe même rangée gardera sa rigidité. Pluie et humidité sont ses ennemis !

Le paillage, dessin de Paul Masson

Sur un chignon

Ces coiffes ne se portaient pas sur n’importe quelle coiffure. À Massérac, les cheveux sont séparés par une raie centrale en deux bandeaux et ramassés en chignon rond sur l’arrière. Parfois ce sont deux tresses rassemblées qui forment ce chignon, assez haut sur la nuque. La chevelure est enserrée dans une résille noire et entourée d’un ruban serre tête de velours noir sur lequel on épingle la coiffe. Ce ruban demeure partiellement visible au-dessus du front. Toutes les variantes de dormeuse ne se placent pas sur les mêmes chignons.

Notons qu’en Bretagne chaque type de coiffe dicte une coiffure particulière et laisse peu de place aux fantaisies individuelles !

Lorsque la femme ne porte pas sa coiffe elle peut garder le même chignon, la résille et le ruban noir. Certaines femmes âgées qui avaient abandonné la coiffe ont longtemps conservé ce type de coiffure et nos anciens peuvent s’en souvenir.

A Massérac

Carte postale de Massérac - vers 1910 ? - entrée du village par la route d’Avessac (collection Dominique Duz).
Dessin de Paul Masson
Dessin de Paul Masson

Dans notre village, le fond de la coiffe est assez long et s’incline depuis la passe jusqu’au chignon en une pente droite. Le paillage ne descend pas sur le cotés. Le pignon est repassé en trapèze malgré la forme arrondie du motif brodé (parfois le fond n’est pas brodé).

Le ruban large de 3 ou 4 centimètres est plaqué sur la coiffe, cousu sur les côtés et se termine à l’arrière, sous la rosace, par un nœud rectangulaire dont les extrémités ne sont pas pendantes.

En comparaison, certaines variantes voisines ont des petits rubans de 5 millimètres, ou aucun ruban, alors que d’autres se distinguent par leur grand nœud qui dépasse de la coiffe ou leur ruban pendant sur les épaules.

Paul Masson, né en 1908, grand spécialiste de la dormeuse, cite et dessine dans l’ouvrage qu’il lui consacre la variante de Massérac assimilée à celle de Redon, Beslé et Saint-Nicolas.

Il la distingue de celle de Guémené dont l’arrière est repassé en rond, le paillage descendant sur les côtés et le ruban flottant dans la nuque.

Et aux alentours

Dans les villes et villages proches de Massérac, partout au sud de la vilaine, on trouvait des dormeuses assez ressemblantes.

Un peu plus loin, citons toutefois Séverac et Blain qui se distinguaient jusqu’à 1900 par des coiffes spécifiques plus « archaïques », la Câline et la Bline peu à peu remplacées par la dormeuse de leurs voisines.

Toujours dans l’évêché de Nantes, le pays paludier de Guérande est connu pour son somptueux costume et sa coiffe spécifique qui ont largement été supplantés par la mode Nantaise

Massérac (coll. Renée Cabat, © DL)
Massérac (coll.M.Guillerme)
Guéméné, le monument aux morts © DL

Au nord de la vilaine, dans la ville de Redon, notre dormeuse est encore de rigueur. Mais au-delà de ses faubourgs, c’est la mode du vannetais Gallo (du type la Gacilly) qui domine de St Perreux à Sainte Marie ou Bains-sur-Oust : coiffe aux deux ailles étroites relevées, portée sur un petit bonnet de filet brodé.

Sainte-Marie (collection D.Duz, © D.L)
La Chapelle de Brain, portail église (© D.L)

Les cas de Brain, La Chapelle de Brain et Renac sont intéressants car on y trouvait une mode hybride, originalement vannetaise, sur laquelle sont venus se greffer des caractères Nantais.

La coiffe est donc une variante très particulière de la dormeuse portée sur un bonnet vannetais.

Toujours en Ille et Vilaine, la coiffe du Grand Fougeray, de St Anne et de La Dominelais est bien nantaise. Cette dormeuse originale, petite et assez plate n’est pas paillée mais gauffrée au fer, en chevrons plus grossiers. Il est probable que ces variantes aient été remplacées dans les derniers temps par une dormeuse  » standard » identique à celle de Massérac et Redon.

Plus au nord du côté de Saint Just, Pipriac et Guipry, on portait la mode Rennaise et sa dernière coiffe très largement répandue : la Polka.

Les larges brides de ce petit bonnet de tulle sont réunies sous le menton par un nœud caractéristique. Bain de Bretagne est divisée entre dormeuse et polka.

La Polka de Rennes (coll D.Duz)

Quand on "prend le chapeau"

La dormeuse de tulle est la dernière évolution de la grande coiffe Nantaise du début du 19e siècle telle que la montre François-Hyppolite Lalaisse. Apparue dans les années 1880, elle est portée massivement jusqu’à la première guerre mondiale, avec le costume nantais complet. Après le rejet de celui-ci au profit des robes et manteaux des villes, elle demeure le seul élément identitaire des femmes de la région.

Elle est cependant délaissée progressivement entre les deux guerres. Sur les photos de mariage des années 30, seules les femmes âgées et quelques rares jeunes femmes la portent encore avec des habits citadins.

On abandonnait définitivement la coiffe pour « prendre le chapeau » dans une revendication d’assimilation au monde moderne et à une France uniformisée.Il n’est plus question de retrouver la coiffe ou le costume régional pour certaines occasions festives comme dans d’autres contrées (Andalousie, Bavière…), sauf pour danser au sein des groupes folkloriques et cercles celtiques à partir des années 50/60.

On est forcé de remarquer que le costume et la coiffe ont été abandonnés beaucoup plus tôt en pays Nantais et Rennais qu’en vannetais Gallo (de Sérent à Rochefort en Terre ou Ploërmel…) où certaines femmes portent encore le costume complet dans les années 60 et la coiffe jusqu’aux années 80/90.

Il serait intéressant de demander aux Masséracéens et Masséracéennes les plus âgés jusqu’à quelles années leurs tantes, mères ou grand-mères ont porté leurs coiffes ? Peut-être les ont-ils retrouvées dans les armoires parfois non amidonnées et ressemblant à de petits mouchoirs ! Peut-être aussi ont-ils gardé des photos de famille où leurs aïeules arborent la dormeuse ? Nous sommes avides de leurs témoignages…

15 octobre 1929: le mariage de Pierre-Marie Chauvel, né en 1906, et Geneviève Etienne, née en 1909. Cinq coiffes encore portées par les plus âgées (coll.D.Duz)
Pèlerinage à l'oratoire de Saint-Benoît vers 1900: toutes les femmes portent la coiffe (collection Dominique Duz)

          Dominique Duz / minod@dbmail.com

Bibliographie :

 Creston René-Yves : Le Costume Breton. Coop Breizh – 1993

Guesdon Yann : Coiffes de Bretagne. Éditions Palantines – 2009

Lalaisse François-Hyppolite : De la Bretagne et autres contrées. Éditions Ouest France – 2002

Masson Paul : La Dormeuse. Éditions du Pays de Retz – 1979

Morand Simone : Coiffes et costumes de l’ancien comté de Rennes, éditions Breizh Hor Bro – 1979

Vighetti J.B : « Dastum » n°8, Le costume – 1984 (https://www.dastum.bzh)

 Remerciements :

À Michel Rocher et Michel Guillerme pour le partage de leurs connaissances, de leur passion et la richesse de leurs collections.

Hommage :

 À Juliette Martin qui m’a tant parlé du passé de Massérac.