Le moulin à vent de la Grée

Quelque chose en lui du moulin de Daudet

« Notre pays, mon bon monsieur n’a pas toujours été un endroit mort et sans renom, comme il est aujourd’hui. Autre temps, il s’y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens…nous apportaient leur blé à moudre… ».

   Ainsi commence le célèbre « Secret de Maître Cornille » d’Alphonse Daudet. Une nouvelle qui n’est pas sans rappeler l’histoire du moulin de Massérac ! Autre temps, il s’y faisait aussi grand commerce de meunerie. Car on y moud dès le 16e siècle, peut-être même avant. Un « aveu » de 1544 (1) le cite: « Les dits hommes confessent être sujets au distroit du moulin à vent de leur dit seigneur étant en la ditte paroisse… ». D’autres aveux de 1576 et 1628 l’évoquent également, comme les « cahiers de doléances » de 1789 (2). On le représente encore sur la première carte de France de Cassini en 1785 et sur le cadastre napoléonien de 1834. Le moulin de la Grée est donc bien d’un autre temps et a fait grand commerce ayant tourné pendant quelques cinq siècles !

  

Le moulin de Massérac cité sur les aveux de 1544

Probablement un des plus anciens de la région, certainement propriété de l’Abbaye de Redon qui en édifie plusieurs comme toutes les abbayes de l’époque, il reste administré par le Prieuré de Massérac jusqu’à la Révolution. Les registres paroissiaux des années 1710 ne témoignent-ils pas de naissances d’enfants ayant pour père un certain Jean-Baptiste JAN, meunier, demeurant dans ce Prieuré.

"Un drame de village"

   Après 1789, le moulin de la Grée devient « bien national », à vendre. Il connait alors, comme celui de Daudet, un « drame de village dont (le) moulin a été témoin ». Pire même à Massérac, une vraie tragédie ! Que le fils de Jean Roquet, meunier à Renac, achète ce bien déplait en effet fortement aux insurgés royalistes de Bretagne. Lesquels, quatre Chouans précise le procès-verbal du 28 Fructidor de l’An 7, assassinent chez lui « le citoyen Julien Roquet au village de Paimbu … de trois coups de fusil… » !

 

   Qui fait farine à Massérac entre cette funeste nuit du 14 septembre 1799 et 1821, année où François, fils de Julien né en 1798, apparaît meunier dans l’état civil ? Mystère pour l’instant. Reste qu’à son tour le fils de François, prénommé François-Aimé lui succède vers 1850, à une période dorée de la meunerie éolienne. On compte peu après plus de mille moulins en Loire Inférieure et ils ne seront jamais aussi nombreux dans la région, jusqu’à cinq par grosse commune du coin, à Guéméné-Beslé, Avessac, Renac, Langon ou Grand Fougeray ! Il en reste des vestiges un peu partout.

   C’est peut-être aussi François-Aimé qui « modernise » la tour de la Grée en adoptant le système d’ailes Berton en planches. Sans doute aidé à ses débuts par son père et son oncle Pierre, également meunier vivant à Masserac, il a certainement moulu beaucoup de grain au village.

   Son fils, appelé François-Aimé également, prend le relais fin 19e siècle. Demeurant aux Goisbeaux comme ses aînés, il cède cependant tôt les commandes des ailes à ses fils. D’abord à Jean-Marie qu’on appele simplement Jean et que beaucoup d’anciens du village ont bien connu car il ne décèdera qu’en 1983. Mais il se consacre vite à sa ferme près du presbytère après son mariage avec Bernadette Barrais en 1920. Ce qui laisse penser que le dernier farinier est probablement son jeune frère Pierre-Marie, « meunier avec son père » en 1931 selon l’état civil.

Début du XXe siècle

Le moulin Roquet

     Depuis la Révolution, le moulin dit « du Bourg » sur les cartes anciennes, n’a ainsi connu qu’une famille de meuniers. Cinq générations qui justifient bien qu’on le surnomme encore le « moulin Roquet ».

  

Coupe d'un moulin "système Berton"

Quand a-t-il cessé de fonctionner ? Si François-Aimé a encore écrasé du blé jusqu’à sa mort, avec ses fils Jean et Pierre, il se serait arrêté entre 1931 et 1935. Une période qu’on retrouve dans le livre de Jean-Marie Boulais « La pêche aux grenouilles » (3). Page 86 : « Désaffecté au début des années trente, faute de clients, il était devenu le lieu de rendez-vous des garçons du coin ».

  Et le jeune héros du livre de s’émouvoir de l’état des ailes dans les années 40 : « Tout là-haut, sur leur support moisi, leurs lattes tristement repliées laissaient échapper comme une plainte … ». Car il s’agissait, comme dit plus haut, d’ailes en lattes de bois qu’un système mis au point en 1855 par l’ingénieux Pierre Théophile Berton permet de déployer ou replier comme des plumes d’oiseau grâce à une tringlerie commandée de l’intérieur.

   « Ceci a beaucoup simplifié la vie du meunier qui n’était plus obligé de grimper sur les ailes. Cela était bien moins pénible et dangereux qu’avec les toiles. De plus, l’orientation de la toiture est effectuée par manivelle ou palan prenant appui sur une crémaillère à l’intérieur du moulin » (4).

Jean, Pierre et leur père ont profité de ce modernisme peut-être installé sur la tour Roquet dès 1863, date gravée sur une pierre du montant gauche de la porte Est. Ou seulement en 1903, creusé sur le linteau de la porte Ouest ?

Le craquement de la toile

   Du coup le moulin change d’allure au 20e siècle. Sa tour est sans doute rehaussée, système Berton oblige, le toit perd son guivre (sa queue) nécessaire à l’orientation des ailes. Fini le « plaisir d’entendre sur la hauteur … le craquement de la toile » comme chez Maître Cornille.

 

   Il est donc peu probable que la tour de Massérac dans son état actuel soit d’origine, supposée du 16e siècle. Car beaucoup de moulins ont été maintes fois reconstruits suite à des destructions dues aux tempêtes qui emportaient ailes et toit, à des incendies ou explosions partant du frottement des meules, ou à des guerres. Mais admettons, faute de preuves historiques.

   Jusqu’au 19e siècle, cette tour ne peut cependant pas avoir la hauteur actuelle de treize mètres. Plutôt dix au maximum comme la plupart des autres moulins de la région, tels ceux de Renac ou d’Avessac, la tour de la Déroute typiquement bretonne dite « petit pied » en témoigne.

   Le toit et les ailes du début 19e siècle ne sont pas non plus comme celles qu’on pouvait encore voir avant la seconde guerre. Un guivre solidaire de la charpente du toit et prolongé jusqu’au sol permettait au meunier, grâce à un cabestan ou l’aide d’un âne, de faire tourner la toiture. Car pour fonctionner, les ailes doivent faire face au vent. C’est d’ailleurs pour cette raison que la tour a deux portes diamétralement opposées : quand la voilure se trouve devant l’une, l’autre sert d’entrée. Les ailes sont aussi recouvrables de toiles de lin qu’on entortille plus ou moins selon la force du vent.

   Sans ailes depuis un demi siècle, le moulin de Massérac a hélas aussi perdu son mécanisme intérieur. Plus d’arbre moteur, de rouet (5), de lanterne, de trémie,… Reste seulement une belle meule indiquant qu’on y faisait une farine à pain de qualité. Mais bien qu’aidés par la technique sophistiquée de Berton, Jean et Pierre Roquet n’ont pu résister aux minoteries industrielles qui ont ruiné ces extraordinaires machines éoliennes qui enchantaient les paysages .

   Comme écrit encore Daudet, « un matin, les ailes de notre dernier moulin cessèrent de virer, pour toujours cette fois… Que voulez-vous, monsieur, tout a une fin en ce monde, et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui … des parlements et des jaquettes à grandes fleurs ».

2020, la tour du moulin Roquet retrouve un toit

Dominique Lérault / dominiquelerault@free.fr

Notes :

  1. Aveu: Déclaration écrite du vassal à son seigneur, témoignant ainsi de sa dépendance pour les biens possédés dans le fief et reconnaissant des droits à payer à l’occasion de successions, partages, ventes ou acquisitions.
  2. Cahiers de doléances : Remontant au XIVe siècle, ces cahiers recueillent vœux, demandes et protestations adressés au roi. Les plus célèbres sont ceux de 1789, rédigés pour les États généraux que Louis XVI convoque à Versailles en mai 1789.
  3. La pêche aux grenouilles : livre de Jean-Marie Boulais, 2009, éditions l’àpart.
  4. Extrait de « Les Meuniers et leurs Moulins », de J.Meunier et A.Guilloteau, 2013, Imprimerie Graphique de l’Ouest.
  5. Arbre moteur, rouet et lanterne désignent les engrenages en bois et fer transmettant le mouvement rotatif des ailes aux meules.

 

Site internet :

D’autres images du moulin de la Grée, photos anciennes et croquis techniques, sont à voir sur le site internet de l’association « Histoire et patrimoine de Massérac ». A l’adresse « histoiredemasserac.fr », onglet patrimoine.

 

Remerciements à :

Maurice Chauvel pour ses recherches généalogiques sur la famille Roquet.

Sylvette Gaudin et Christian Lemaître, petits enfants de Jean-Marie Roquet, pour leur aide précieuse.