AVEU DU 20 AOUT 1544

Aveu rendu par les habitants de Mascerac à leur prieur Guillaume Le Brun

Avant même d’analyser les différents aveux que nous avons photographiés aux Archives Départementales de Nantes, essayons de définir ce qu’est un aveu, son contenu et ce qu’il nous enseigne sur la vie des habitants de Mascerac. Nous prendrons l’exemple de l’aveu rendu le 20 août de l’an 1544 par les habitants de Massérac à leur prieur Guillaume Le Brun et dans lequel, ils indiquent tous les droits et les domaines qu’ils tenaient de celui-ci.

Définition de l’aveu en ancien droit :

Aveu : déclaration écrite que doit fournir le vassal à son suzerain lorsqu’il entre en possession d’un fief.

Source : lumni.fr/article/lexique-feodal

Cela signifie que, en ancien droit, l’aveu est une déclaration écrite que doivent fournir les habitants de Mascerac au prieur du Prieuré de Mascerac lorsqu’ils entrent en possession d’un fief (par achat ou par héritage). L’aveu décrit en détail les biens composant le fief (termes utilisés : le dénombrement ou minu).

Ce que nous apprend l’aveu

  • L’aveu nous renseigne sur le nom des personnes présentes : « Sachent tous que pour notre Cour de Mascerac ont comparu en personnes devant nous Messire Jean Gicquel……» (voir la liste des personnes sur l’original) « Et dénommés paroissiens demeurant en cette paroisse de Mascerac….. »
  • Les habitants reconnaissent par cet acte les biens qu’ils tiennent de leur prieur « vénérable et discret messire » Guillaume Le Brun ainsi que ceux qu’ils détiennent par héritage. Ils  décrivent également  les droits et devoirs qu’ils ont envers leur prieur.
  • Les habitants ont les obligations suivantes : obligation de moudre leur grain au moulin du Prieuré avant de «les  pouvoir mener ailleurs aux autres moulins» ; de payer des impôts (dîme, fouage). Le montant de la rente sur les fiefs s’élève à 24 livres « …. Confessent devoir à leur dit seigneur de Beuvres…. le nombre de vingt-quatre livres monnaie de Bretagne… payables en la main du sergent et receveur de ladite seigneurie quel sergent ladite seigneurie de Mascerac peut choisir et élire sur ses hommes et sujets pour faire la cueillette et recette du contenu de la somme déclarée sur ledit papier…. ».  Le devoir  de la dîme est calculé à la dixième gerbe des blés, seigle, froment, vins, avoines, chanvres et lins « de laquelle dîme le recteur de ladite paroisse prend et lève la tierce partie sauf quand la dîme des froments ledit recteur n’y prend aucune chose…. ». Certains hommes sont exempts de fouages : exemple, le sergent. Le métayer et le laboureur demeurant « en maisons priorales du prieur de Mascerac est franc et exempt de tout fouage et contribution roturière pour les terres dudit prieuré seulement… »
  • Ainsi on apprend que le recteur ne prend « aucune chose» « ni ne lève aucune dîme » « aucun devoir » sur la « terre du Clos Froger », sur la « tenue Delaporte » ni « aux terres labourables Dampuis ». dudit prieuré ».
  • La description de Paimbun (Paimbu) nommé « le grand domaine de Paimbun» mériterait d’être cartographiée pour mieux se  la représenter. On retrouve aussi l’appellation des autres domaines.
  • On découvre qu’il y avait une « frairie » à Paimbu et on peut lire les noms des habitants qui tenaient des « tenures et hébergements »  tels que messire Ollivier Provost, Jean Gicquel, Denis Le Gendre, Jean Robin….. Le prieuré possédait un droit de justice basse, moyenne et haute ainsi que le droit de ventes et lods. Il est aussi écrit « tout ferme droit qu’a seigneur proche de fief appartient et peut appartenir, garennes défensable et prohibitive tant à poil qu’à plume en ladite paroisse ». La garenne à poils était située au lieu appelé La Bessière et  celle à plumes près de la rivière et sur les marais Dampuis dont  le tracé précis retrace les lieux indiqués dans l’aveu (de la Chalaudière qui conduit à la Grée, à l’ïle de Fresne et jusquà la rivière de Morbout, d’un bout de la vieille mer qui conduit à l’écluse du Bas-Paimbu). Toutes ces terres appartenaient au Prieuré.

Les habitants de Mascerac « promettent et jurent tenir par leurs serments et sur tous leurs biens et à ce faire y ont été par nous au jugement de notre dite Cour ……, jugeons et condamnons, donné de ce témoin le sceau établi aux contrats de notre dite Cour, et fut fait et consenti au bourg de Mascerac au-devant de la grande pavée du cimetière ». Ils énumèrent leurs domaines auxquels ils sont soumis à la dîme pour leur seigneur, sans que le recteur ne puisse prendre sa part.

Note écrite en 1814 non signée (peut être par l’archiviste ou un historien ? ) au sujet de cet aveu. Elle était jointe à l’ensemble du dossier

Cet aveu qui remonte à près de trois siècles, c’est-à-dire à l’époque même où l’on commence à rédiger en forme ces actes d’inféodation, démontre que les terrains dont il s’agit étaient déjà leur propriété. Et en effet, il n’est pas possible d’apercevoir dans cet aveu la réserve d’aucune portion de terre, d’aucune  partie de la paroisse de Massérac, puisqu’il englobe la totalité des terres de cette paroisse dont il donne les débornemens et la contenance.

1° – les débornemens dans lesquels je rencontre précisément les marais dont il s’agit

2° – la contenance qui prouve également que les îles, marais, communs y étaient compris à   moins qu’on ne justifie que la paroisse de Massérac dans les  2500 journaux dont parle l’aveu, n’avait pas les terrains contentieux.

Une dernière observation que cette inféodation des habitants de Massérac fut faite à titre onéreux, ce qui achève d’assurer leur droit de propriété. 

Une pièce unique

Maryse BOUCAUD JAUDOU – maryse.boucaudjaudou@gmail.com

Première page de l’aveu de 1544 (copie rédigée le 10 juin 1628)

Source : Archives départementales – Prieuré de Saint-Benoît de Massérac ; liasse, 2 pièces parchemin ; 35 pièces papier

Cote AD H 158

Un grand merci à Jean Bourgeon !

Nous avons sollicité Monsieur Jean Bourgeon, historien, voici son analyse qu’il a eu la gentillesse de nous adresser le 13 novembre.

Les aveux permettent d’avoir une vision du système féodal d’un territoire ; ici d’une paroisse. J’ai lu celui de 1544 et parcouru rapidement les autres. J’ai lu aussi l’étude que vous en avez faite et à qui j’apporte un complément d’informations et quelques corrections.

Les habitants de Massérac propriétaires de terres dans l’étendue de la seigneurie doivent «foi et hommage» à leur seigneur à chaque fois qu’ils acquièrent de nouvelles terres et à chaque fois que le seigneur change : c’est ce qu’on appelle rendre aveu.

Le tenancier paysan, artisan…doit un aveu détaillé de tous ses biens immobiliers et aussi reconnaître tous les droits féodaux et seigneuriaux pesant sur ces biens ; droits qu’il s’engage à respecter C’est une démarche tracassière et onéreuse car chaque mutation est pour le seigneur l’occasion de percevoir une taxe.

Dans l’aveu de 1544 il semble que l’aveu soit rendu, par les chefs de famille propriétaires, car le prieur-seigneur change (mais je n’en suis pas certain) : Guillaume Lebrun « prieur commendataire et seigneur temporel » céderait son bien à Christophe de Choiseau.

Ces prieurs et les suivants, qui sont cités à la fin dans un autre aveu, sont tous dits « commendataires », c’est-à-dire qu’ils touchent les revenus du prieuré-seigneurie sans avoir à en assurer la mission religieuse, celle-ci revenant au recteur. C’est le cas le plus fréquent dans tous les prieurés à l’époque. Ici, les prieurs sont des clercs (de l’abbaye de Redon ou d’ailleurs) mais parfois il s’agit de laïques. Ils ne mettent jamais les pieds dans leurs prieurés, préférant résider en ville, sauf lors de la prise de possession où ils doivent visiter, en présence d’un notaire, chacun des biens composant leur seigneurie.

A Massérac comme ailleurs il faut distinguer deux types de droits :

Les droits féodaux découlent de la propriété éminente du seigneur sur l’ensemble de la seigneurie, et pèsent sur la terre. Ils sont dus par les propriétaires et ce sont eux qui sont cités dans l’aveu. Propriété éminente : cela ne veut pas dire que le seigneur possède toutes les terres de la paroisse. Il possède en propre celles du prieuré, qui je crois sont délimitées dans un autre aveu (dont le moulin), les autres terres appartenant aux propriétaires cités. Pour justifier les droits féodaux sur des terres qui ne leur appartenaient pas les seigneurs et leurs juristes entretenaient soigneusement l’idée que l’établissement des liens d’homme à homme, caractéristiques du système féodal, s’était concrétisé par la concession que le seigneur avait faite à ses vassaux de terres, moyennant le paiement de droits. (En réalité, ce sol, le seigneur n’a pu le donner car il ne lui a jamais appartenu !)

Les droits seigneuriaux : dérivés de la souveraineté exercée au Moyen-âge par le seigneur pèsent sur tous les habitants de la seigneurie, propriétaires ou pas.

Parmi les droits féodaux relevés dans l’aveu de 1544, il y a la rente de 24 livres (appelée aussi le cens) que les propriétaires de Massérac doivent se répartir entre eux (en rédigeant un «rôle rentier » document que l’on retrouve dans les archives seigneuriales) et dont la collecte « la cueillette » est faite par le sergent de la seigneurie, désigné pour l’occasion par le seigneur et qui en récompense est exempté de payer sa part de rente (le fouage = rente due par un foyer). Généralement, dans une seigneurie, le sergent est l’homme du seigneur, dont la fonction est d’abord de faire respecter la loi. C’est une charge que l’on achète au seigneur et on se paie en ponctionnant les justiciables. Le prieur de Massérac semble avoir une autre perception du rôle du sergent !

Étonnant encore : la rente n’est qu’en argent alors que généralement on y ajoute des prélèvements en nature. Cependant, certains propriétaires cités doivent un droit de terrage (parfois on dit « champart »), en nature : une gerbe sur 12. La rente en argent de 24 livres, lourde à sa mise en place s’allègera par la suite si l’on considère qu’elle restera pratiquement stable jusqu’à la Révolution alors qu’entre temps la monnaie se sera dépréciée.

Autre remarque : le cens frappe la propriété, non l’exploitation ; officiellement le seigneur ne connaît que les propriétaires. Mais ceux-ci confient à leurs locataires le soin d’effectuer les paiements à leur place, ce qui renchérit les baux de fermage pour les paysans non propriétaires.

Le seigneur perçoit aussi le droit de « Lods et vente », cité au détour d’une phrase mais très rémunérateur pour lui et donc très contesté par les habitants comme le montre le Cahier de doléances rédigé en 1789.

Le seigneur de Massérac est aussi prieur donc il a droit à la dîme et la fait peser lourdement sur les habitants : un dixième des productions alors que le plus souvent c’est un douzième, voire un treizième. Le recteur ne reçoit qu’un tiers de cette dîme pour vivre (c’est ce qu’on appelle la « portion congrue »). C’est ce que l’on trouve habituellement dans le diocèse sauf qu’ici il ne perçoit pas la dîme sur l’ensemble de la paroisse. Le seigneur en exonère des quartiers, cités dans l’aveu, sans doute parce qu’ils lui appartiennent en propre comme il exonère de toute imposition les métayers et laboureurs qui travaillent sur les terres du prieuré : les siennes.

Un traitement particulier est réservé aux propriétaires de vignes. Ils doivent la dîme presque exclusivement au prieur, le recteur de la paroisse devant se contenter d’un tiers des dîmes sur quelques clos pour son vin de messe et sa table.

En dehors de son prélèvement sur les revenus de la terre, le seigneur intervient encore dans la vie des habitants par l’exercice des droits seigneuriaux. Ceux-ci ont pour origine la puissance publique autrefois usurpée au roi par les seigneurs et dont la monarchie a peu à peu repris l’exercice, mais en laissant aux seigneurs, à titre patrimonial, quelques prérogatives et redevances.

Certaines sont purement honorifiques comme ces jeux que le seigneur peut exiger en certaines occasions : courir la quintaine, jouer à la pelote… à Massérac c’est la soule dont il est question dans les aveux plus tardifs. Le dernier couple marié doit présenter au seigneur, le jour des Rois (dimanche de l’Epiphanie), une soule ou boule de cuir noire devant peser 7 livres pour qu’à l’issue de la grand’messe, le seigneur la jette dans la foule ce qui provoque une cohue (le rugby avant l’heure) chacun essayant de s’emparer de la soule.

Ces jeux qui établissaient des liens personnels entre seigneur et vassaux, s’ils avaient pu être acceptés par la population à une époque ancienne était ressentis comme des obligations humiliantes à la veille de la Révolution, et le Cahier de doléances de Massérac demande l’abrogation de la soule dont le jeu n’était plus pratiqué mais remplacé par… une taxe.

Le prieur de Massérac n’oublie pas de mentionner d’autres droits seigneuriaux qui lui permettent d’assurer le maintien de la seigneurie et de consolider sa domination : le droit de justice et les monopoles.

Parmi les monopoles il y a celui des moulins. Tous les paysans du pays doivent faire moudre leurs grains au moulin seigneurial et cela rapporte gros au meunier et au seigneur qui lui afferme son moulin.

Autres droits dits « utiles » : le droit d’épave et gallois qui permet au seigneur de confisquer le bétail égaré, les objets échoués au bord de la rivière mais aussi les terres abandonnées. Le droit de garenne autorise le seigneur à avoir des bosquets ou des landes qui constituent des réserves à lapins. Toutes ces garennes devraient être closes, ce qui n’est bien sûr pas le cas, et les lapins ravagent les récoltes sans que les paysans n’aient le droit de chasse ni même de poser des collets.

La seigneurie ne se conçoit pas sans juridiction. Le prieur-seigneur de Massérac a droit de haute, moyenne et basse justice (je ne développe pas car cela mènerait trop loin, mais si vous voulez développer sur le système seigneurial il faudra expliciter cet aspect.)

L’aveu de 1544 permet de délimiter l’étendue de la seigneurie qui couvre 2500 journaux (dans la région un journal = 48,62 ares); est-ce que cela représente l’ensemble de la paroisse de Massérac ? Pas certain. Il est possible que d’autres seigneuries voisines empiètent sur le territoire paroissial.

L’aveu cite rapidement les (rares) droits des habitants : pêcher, communer. Ce dernier droit leur permet d’utiliser les communaux pour y faire paître leur bétail, ramasser du bois, étréper la lande… Cela peut paraître secondaire, mais c’est primordial pour les plus pauvres qui ne peuvent vivre sans les communaux.

Le seigneur de Boeuvres n’intervient pas sur la paroisse. Il n’est cité que parce que ses terres sont limitrophes mais ne prélève aucune rente à Massérac.

La noté écrite en 1814 émane sans doute d’un avocat défenseur d’habitants de Massérac à qui quelqu’un ( ?) contestait les droit de propriété sur un marais.

Je n’ai pas étudié les autres aveux qui sont rendus par le prieur-seigneur au roi. C’est un autre angle de vision. On y retrouve les droits féodaux et seigneuriaux mais aussi les devoirs (bien minces) du prieur. Ils permettent aussi de « voir » le prieuré lui-même. Observation qui confrontée à d’autres documents que je vous avais transmis (l’estimation des biens du clergé) permet une approche assez précise de l’état des lieux avant la Révolution.

En complétant l’étude des aveux avec le Cahier de doléances et l’estimation des biens du clergé vous pouvez dresser un beau tableau du système seigneurial à Massérac sous l’Ancien-Régime.

Jean Bourgeon, une passion pour l’Histoire

Article publié par Ouest France le 21/01/2019

Né à La Chapelle-sur-Erdre en 1947 et domicilié aujourd’hui à Nantes, Jean Bourgeon possède de nombreuses attaches avec la commune, où habitaient ses grands-parents maternels, Marie (née Pilvart) et Julien Racine, domiciliés au Télégraphe.

Professeur d’histoire-géographie dans un lycée nantais, il s’est révélé aux Treillérains en 1986 avec la publication d’un premier ouvrage La vie est dans le pré : portrait d’une commune rurale, Treillières, avant et après la Révolution.

Ce livre, devenu référence en la matière, connut un grand succès et fut distingué par le Prix Alfred-Gernoux de la société académique de Nantes et Loire-Atlantique. Fidèle à sa commune de cœur, l’historien a rejoint en 2008 l’équipe qui fonda l’association Treillières au fil du temps. Il en est devenu un animateur bénévole et infatigable depuis dix ans, participant activement aux nombreuses initiatives prises par l’association.

En 2012, il publie le second tome de l’histoire de la commune Treillières, un village au pays nantais, de 1800 à 1945, ouvrage récompensé par le prix de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire. « Je voulais écrire l’Histoire d’une commune sans histoires », dit-il.

Il lui aura fallu tout de même deux livres et plus de 1 000 pages ! Répondant toujours présent quand il s’agit d’accompagner une manifestation liée à l’histoire et au patrimoine de la commune, Jean Bourgeon s’est aussi investi aux côtés de ses amis de Treillières au fil du temps dans la réalisation du récent et remarquable ouvrage édité en décembre dernier : Vies de châteaux au bord du Gesvres (www.tafdt.org).

Jean Bourgeon, une passion pour l’Histoire

    • Jean Bourgeon vient d’écrire de publier « Les campagnes nantaises au 19e siècle Bilan de santé ; Le département de la Loire-Inférieure ausculté par ses médecins (1826-1857) suivi de : Une épidémie à Treillières en 1849

Aveu du 20 aout 1544  –  Archives Départementales de Nantes