Benoît, mythe ou ermite ?

Faut-il démystifier la venue de Benoît sur le territoire masséracéen ? Deux textes invitent en effet à s’interroger sur la belle légende du pâtre grec venu chanter les louanges du Seigneur entre Don et Vilaine vers 812, et fonder Massérac !

Un écrit des années 70 de Pierre Ricordel, enfant du pays alors curé de la paroisse, laisse croire au mythe de l’ermite venu de Patras. Mais les textes de 1883 du Comte de l’Estourbeillon (d’après une copie exécutée en 1625), rapportés par André Oheix dans le bulletin archéologique de Nantes en 1910, laissent entrevoir une autre histoire, moins glamour hélas, celle d’un Benoît breton ou poitevin créant Penbu à la fin du IXe siècle et non au début !

 

Paimbu

S’appuyant à l’évidence sur l’essentiel du récit de Régis de l’Estourbeillon, Ricordel écrit que Gondebaud, comte de Nantes, sur recommandation de l’évêque Alain, concéda Macérac à Benoît en 812. Était-il un immigré grec de Patras, exilé suite aux persécutions des iconoclastes, des briseurs de statues, qui sévissaient dans l’empire de Constantinople ?

Benoît, ermite, avec quelques compagnons habitant dans des « logettes », aurait jeté les bases d’une paroisse dont l’origine se situe au village actuel de Paimbu ; un monument, la « Chaire de Saint Benoît », érigé en 1859 à la lisière du marais, en perpétue le souvenir.

Alors pourquoi Benoît, ou après lui ses moines, se transportèrent-ils assez tôt là où est le bourg ? Une histoire de grenouilles perturbant leurs prières les aurait poussés à s’éloigner du marais ! En tout cas, ils établirent donc plus loin une petite abbaye, sans doute indépendante et franque (le comté de Nantes était alors sous domination des Francs), en distinction de l’abbaye bretonne de Conwoïon à Redon. Dans le cartulaire de cette dernière figure Macérac dont l’origine se situe bien à l’époque carolingienne. C’est-à-dire avant 845, année où Charles Le Chauve, petit-fils de Charlemagne, subit une humiliante défaite à la bataille de Ballon à Bains-sur-Oust et dut se replier avec ses Francs au-delà des marches de Bretagne.

Sauf que cette hypothèse, remarquons-le au passage, ajoute à la légende de notre Benoît voyageur un talent de sacré bâtisseur ! Avec quelques compagnons seulement, il aurait élevé un monastère en une trentaine d’années puisqu’il mourut, dit-on, en 845.

Sérieusement par contre, comme l’atteste une donation évoquée ailleurs sur ce site, les moines de Redon obtinrent en 888 par le duc breton Alain le Grand, la main mise sur l’abbaye de Macérac qui devint un simple prieuré. Lesquels religieux redonnais vinrent ravir rapidement les ossements de Benoît dès 897 dans leur soif de posséder des reliques de saints pour attirer les pèlerins dans leur propre abbaye.

Le cachottier Estourbeillon

Regis de l'Estourbeillon par Alban Guillemois

Mais on ne nous disait pas tout, déjà ! Même si Monsieur de l’Estourbeillon avoue des « variantes » possibles révélées par quelques auteurs : « Certains d’entre eux ont contesté l’exactitude de quelques points de cette tradition, notamment ce qui concerne son origine grecque, l’existence de l’évêque Alain, et la date précise de sa naissance ».

Son texte issu d’une copie manuscrite de 1625 appartenant alors à l’abbé J. Goulet, curé de Massérac, s’est borné à envisager « le côté purement populaire de la vie du saint », oubliant certaines controverses . La recherche à partir de la « Vita Benedicti » d’origine autorise pourtant à une étude, essentielle et contradictoire, de la vie de Saint Benoît .

Nous ignorons l’époque de cet écrit qu’André Oheix situe au XIIe siècle au moins. Cet érudit et historien de la Bretagne (1882-1915), comme Albert Legrand, auteur de « Les vies des saints de la Bretagne Armorique » au 17e siècle, et Guy Alexis Lobineau qui signa en 1725 « Les vies des saints de Bretagne et des personnes d’une éminente piété qui ont vécu dans cette même province », s’accordent à penser que la légende de Saint Benoît de Massérac ne tient guère debout !

 

Patras… et patatras

L’origine grecque de Benoît et de sa soeur Advena (Avénia chez Legrand, Avénie chez Ricordel) a soulevé quelques objections de la part de Lobineau. Pour certains, Benoît a pu latiniser son nom grec et pour d’autres, les changements de nom ne sont point rares à cette époque.

Selon l’imagination d’Albert Legrand, nous avons une proposition sur l’installation de Benoît et ses compagnons : « En ce lieu, il ediffia une petite église, et, ès environs, dix petites cellules pour luy et ses neuf confrères…». Mais au congrès de Lamballe, en 1907, M. le Comte de l’Estourbeillon a signalé la découverte de logettes qui auraient été détruites par Benoît et ses compagnons. Sans vérification notoire, on peut penser que c’était plutôt les ruines d’un prieuré primitif à Paimbu.

En fait, la manière dont Benoît installe ses moines dans des petites cellules isolées semble indiquer un moine breton. Il est donc probable qu’il n’était pas originaire de Patras en Grèce, mais d’une ville armoricaine dont le nom ressemblait à celui de Patras. Y’en a ! Et Oheix de conclure : « Aussi, si on n’accepte pas l’origine grecque de Benoît, autant vaut dire qu’on ne sait rien ni sur sa naissance, ni sur son pays ».

Quant à sa sœur Avénie, aurait-elle été mise, selon le prolifique Albert Legrand, à l’abbaye saint Clément à Nantes ? Ou Avénia ne serait-il pas le substantif latin de la sainte Advena signifiant une personne étrangère ?

Que penser encore du voyage de Benoît de Patras à Nantes ? Legrand écrit « Ayans navigué la mer Méditerranée, le long des côtes de l’Italie, la France et l’Espagne, passèrent le détroit de Gibraltar et cinglèrent sur l’Océan, jusqu’à l’embouchure de la Rivière de Loyre, laquelle ils montèrent jusques au port de la ville de Nantes, où ils arrivèrent, l’an 812 ». Cette longue navigation passant par des caps toujours redoutés paraît inconcevable avec une barque à voile carrée d’époque ! Même les Vikings n’en faisaient pas tant en ce IXe siècle.

 

Albert Legrand
André Oheix

Sous Charlemagne ou Carlomanno ?

Saint-Benoît, oratoire construit en 1859
Plaque de Pierre Ricordel, dans l'ancienne église de Massérac

Mais à quelle époque a donc vécu Benoît ? Certainement au temps de Charlemagne, sauf pour Lobineau alors qu’Albert Le Grand fait intervenir l’évêque Alain, pour lever les doutes. Mais des incertitudes pour M. de l’Estourbillon et dans les deux copies du manuscrit de Redon où est écrit : « durante clarrissimo rege Carlomanno ». Doit-on relever cette dernière leçon même si ce Carlomanno (Carloman) est moins connu que Charlemagne ? S’il s’agit du fils de Louis Le Bègue, couronné en septembre 879 et mort le 12 Décembre 884 ; devenu en ne tenant pas compte des conquêtes de Nominoë puis de ses successeurs, le roi du diocèse de Nantes.

En cette fin IXe, Alain Le Grand prit possession de cette ville sans partage alors qu’il était comte de Vannes et non de Nantes (titre attribué à un certain Gondebaud totalement inconnu) et que sa domination ne pouvait être effective tant les Normands occupèrent l’embouchure de 857 à 890. L’arrivée de Saint Benoît se placerait ainsi vers 882-884, soit 70 ans après le 812 toujours évoqué aujourd’hui !

Par contre, Massérac appartenait certainement à Alain Le Grand en 894 quand il en fait don à l’abbaye de Redon, hélas sans constat de concession antérieure et sans mention du vocable Saint Benoît !

Alors qui était finalement ce saint arrivé à Paimbu ? Saint Benoît de Massérac, fêté le 1er Octobre et dont les reliques sont commémorées le 22 Octobre, ou Benoît de Quinçai du Poitou, fêté le 23 Octobre ? Sachant que les moines de Redon ont séjourné dans le Poitou au cours du IXesiècle, à partir de 832, ont-ils confondu les reliques ? Hypothèse invérifiable comme le transfert des reliques faute d’inventaires fiables ?

Bref, l’histoire de Saint Benoît de Massérac est bien une légende, un récit selon le Larousse  « à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique ».

Alain Billard / alain.billard2@wanadoo.fr

Bibliographie :

 « Les vies des saints de la Bretagne Armorique » par Albert Le Grand, 1636 ou 1637. Document conservé à la BNF.        

 « Les vies des saints de Bretagne et des personnes d’une éminente piété qui ont vécu dans la même province » par Guy Alexis Lobineau, 1725. Document conservé à la BNF.

  « Saint Benoît de Macerac, sa vie, sa légende » par le Comte Régis de l’Estourbeillon (1883)

 « Saint Benoît de Macérac », par André Oheix. Bulletin de la Société archéologique de Nantes, 1910.